Chapitre 70
Assis sur le grand fauteuil de Kahlan, Richard caressait les longues mèches de cheveux qu’il avait tirées de sa chemise pour ne pas se poignarder à travers. Il n’aurait su dire combien de temps il était resté ainsi, perdu dans le souvenir des jours heureux. Mais dehors, la nuit tombait.
Il posa délicatement les cheveux sur le bras du siège et reprit le couteau. Dans un brouillard d’angoisse, les phalanges blanches sur la garde, il le pointa vers son cœur.
L’heure était venue.
Au moins, tout serait fini. La douleur disparaîtrait.
Soudain, il plissa le front. Qu’avait dit maîtresse Sanderholt ? Kahlan lui ayant parlé de lui, elle avait peut-être laissé un ultime message à son intention. Pourquoi ne pas lui poser la question ?
Ensuite, il pourrait mourir serein.
Il alla retrouver la vieille femme dans les cuisines et la poussa dans un petit garde-manger dont elle ferma la porte.
— Qu’as-tu fait, Richard ?
— J’ai exécuté ses meurtriers.
— Eh bien, je ne peux pas dire que ça m’arrache des larmes. Ces hommes n’étaient pas dignes d’appartenir au Conseil. Tu as faim ?
— Non. Je n’ai besoin de rien, maîtresse Sanderholt. Vous avez dit que Kahlan vous a parlé de moi. C’est vrai ?
Réticente à réveiller de douloureux souvenirs, maîtresse Sanderholt hésita un peu.
— Elle est revenue, mais tout avait changé, ici… Les Keltiens…
— Je me fiche de la politique ! Parlez-moi de Kahlan.
— Le prince Fyren a été assassiné. Kahlan fut accusée a tort de ce crime, et de beaucoup d’autres, dont la trahison. Le sorcier qui avait pris le pouvoir l’a condamnée… à être exécutée.
— Décapitée…, précisa Richard.
— Oui… Elle s’est évadée avec l’aide de quelques amis. En s’échappant, elle a tué le sorcier. Après, ils se sont cachés, mais elle m’a fait contacter, et j’ai pu la voir. Elle ma raconté vos aventures… et parlé de toi. Son sujet favori !
— Pourquoi n’a-t-elle pas fui Aydindril ?
— Elle devait attendre un sorcier nommé Zedd. Pour qu’il l’aide.
— Et c’est à cause de ça qu’ils l’ont eue…
— Non… Le sorcier est revenu. C’est lui qui la livrée au bourreau !
— Quoi ? Zedd était ici ? Il n’aurait jamais fait ça à Kahlan !
— Et pourtant, il l’a trahie… Il paradait sur l’échafaud, devant la foule en liesse, et c’est lui qui a donné l’ordre au bourreau. Je l’ai vu faire, ce misérable !
— Zedd ? Un vieil homme très maigre, avec des cheveux blancs en broussaille ?
— C’est bien lui… Le Premier Sorcier Zeddicus Zu’l Zorander.
L’espoir renaquit en Richard. Il ne savait pas tout de son grand-père, mais en matière de « trucs », c’était un sacré expert. Se pouvait-il que…
— Où est la tombe de Kahlan, maîtresse Sanderholt ?
La vieille femme le conduisit dans le petit cimetière intérieur où reposaient toutes les Inquisitrices. Kahlan, lui expliqua-t-elle, avait été incinérée sous la supervision du sorcier.
Ensuite, maîtresse Sanderholt laissa le jeune homme seul devant l’immense stèle où figurait une épitaphe :
« Kahlan Amnell, Mère Inquisitrice. Elle n’est pas ici, mais dans le cœur de ceux qui l’aimaient. »
— Elle n’est pas ici…
Un message ? Kahlan était-elle vivante ? Zedd avait-il improvisé une ruse pour lui sauver la vie ? Mais pourquoi ?
Pour qu’on ne la poursuive pas, bien sûr…
Richard tomba à genoux devant la stèle. Devait-il espérer, au risque de voir tout s’écrouler de nouveau ?
Il joignit les mains et inclina la tête.
— Esprits du bien vénérés, je ne vous ai jamais rien demandé. Mais si vous devez m’aider une fois, que ce soit aujourd’hui ! Je vous en supplie. Si vous ne me répondez pas, comment continuer à vivre ? J’ai renoncé à tout pour que le bien triomphe. Par pitié, dites-moi si elle est vivante !
À travers ses larmes, Richard vit l’air scintiller devant lui. Un spectre se matérialisait lentement.
Quand il le reconnut, il frémit.
Kahlan avait fait des dizaines de fois le tour du jardin. Et elle hésitait encore, craignant d’entendre confirmer ses pires angoisses.
Enfin, elle s’agenouilla, joignit les mains et inclina la tête.
— Esprits vénérés, je sais que je suis indigne de vous, mais accordez-moi quand même une faveur. Puis-je savoir si Richard va bien et s’il m’aime encore ?
» Le reverrai-je un jour, esprits vénérés ? Je sais que je vous ai manqué de respect, et je vous implore de me pardonner. Si vous m’accordez cette requête, je ferai tout ce que vous m’ordonnerez.
À travers ses larmes, Kahlan vit l’air scintiller devant elle. Un spectre se matérialisait lentement.
Un doux sourire s’afficha sur son visage lumineux.
— C’est vraiment toi ? demanda Kahlan.
— Oui, c’est moi, Denna.
— Mais tu as été chez le Gardien à la place de Richard… Tu avais pris la marque de Darken Rahl, et…
Le sourire de Denna s’élargit, emplissant de joie le cœur de Kahlan.
— Le Gardien a été dégoûté par mon sacrifice. Il n’a pas voulu de moi. Alors, j’ai rejoint ceux que tu appelles les esprits du bien.
» Mon acte m’a valu une paix que je n’espérais plus. De la même façon, tout ce que vous avez fait pour les gens, Richard et toi – et aussi l’un pour l’autre – justifie que vous connaissiez cette paix. Comme chacun de vous contrôle les deux facettes de la magie, et à cause du lien qui vous unit à moi, j’ai reçu le pouvoir, avant de retraverser le voile, de vous emmener pour un moment dans un lieu entre les mondes où vous serez heureux ensemble.
Denna écarta les mains.
— Mon enfant, viens dans mes bras et je te conduirai à lui.
Richard se laissa tendrement envelopper par les bras lumineux de Denna. Autour de lui, les contours du monde se brouillèrent. Il ignorait ce qui l’attendait, mais plus rien ne comptait, puisqu’il allait voir Kahlan !
L’aura de Denna devint éblouissante. Puis elle baissa lentement d’intensité.
Kahlan se matérialisa devant Richard. Elle cria de joie et se jeta dans ses bras, murmurant son prénom pendant qu’elle l’étreignait.
Ils se serrèrent l’un contre l’autre, sans dire un mot, grisés par leurs retrouvailles.
Le Sourcier savoura la chaleur, le souffle et jusqu’à la façon de trembler de joie de Kahlan.
Ils se laissèrent tomber sur la surface souple qui tenait ici lieu de sol. Richard ne savait pas de quoi il s’agissait, et il s’en fichait, tant que c’était assez solide pour les soutenir.
Kahlan cessa de pleurer et posa la tête sur son épaule. Un long moment après, elle se releva sur un coude et plongea ses magnifiques yeux verts dans ceux du jeune homme.
— Excuse-moi de t’avoir obligé à porter un collier…
— Plus un mot, Kahlan… Tu avais une bonne raison d’agir ainsi. J’ai mis du temps à comprendre que tu as été très courageuse. Bon sang, quel crétin je suis, parfois ! Tu as consenti à un énorme sacrifice pour me sauver, je le sais, et je t’aime plus que jamais.
— Richard… Mon Richard ! Je suis si bien avec toi… Mais comment es-tu arrivé ici ?
— J’ai prié les esprits du bien et Denna est apparue.
— La même chose m’est arrivée… Denna aussi s’est sacrifiée pour toi. Elle a absorbé le pouvoir de la marque, afin que tu vives. Sans elle, je t’aurais perdu. À présent, elle est en paix.
— Je sais… (Richard caressa les cheveux de la jeune femme.) Qui t’a fait ça ?
— Un sorcier…
— Vraiment ? Alors, il faut qu’un autre sorcier répare le mal. Se souvenant de la manière dont Zedd s’était fait pousser la barbe, Richard caressa les cheveux de Kahlan, descendant chaque fois un peu plus bas sur sa nuque, puis sur ses épaules. La crinière de Kahlan se reconstitua lentement. Quand elle eut atteint sa longueur d’origine, il s’arrêta.
— Comment as-tu fait ça ? s’extasia l’Inquisitrice.
— J’ai le don, l’aurais-tu oublié ?
En échange de cette remarque, le jeune homme eut droit au « sourire spécial » qu’il était le seul à connaître.
— Ça m’ennuie de te dire ça, fit Kahlan, taquine, mais je n’aime pas ta barbe. Je te trouvais mieux avant…
— Sans blague ? Eh bien, puis que nous avons restauré la Kahlan originale, faisons de même avec le Sourcier.
Richard invoqua le pouvoir niché au centre de lui-même, dans un lieu plein de calme, et se passa une main sur les joues.
— Richard ! Ta barbe a disparu ! C’est… incroyable !
— Pas quand on est doué pour les deux formes de magie.
— La Magie Soustractive ? Je me demande si je ne suis pas en train de rêver…
Richard attira Kahlan vers lui et l’embrassa.
— Moi, ça m’a paru bien réel…, souffla-t-il.
— Richard, j’ai peur… Tu es avec les Sœurs de la Lumière, et je ne te reverrai jamais. Comment vivre en sachant que…
— Je ne suis pas à Tanimura, mais en Aydindril.
— Aydindril !
— J’ai quitté le Palais des Prophètes avec l’aide de sœur Verna. Après, j’ai fait un petit détour par D’Hara…
Richard résuma ce qui lui était arrivé depuis leur séparation. Quand sa compagne fit de même, il eut du mal à en croire ses oreilles.
— Je suis si fier de toi… Tu es la plus grande Mère Inquisitrice de l’histoire des Contrées du Milieu !
— Retourne jeter un coup d’œil au panthéon, devant la salle du Conseil, et tu verras des femmes bien plus « grandes » que je ne le serai jamais.
— Ça, ma chérie, permets-moi d’en douter…
Ils s’embrassèrent de nouveau… plus passionnément que jamais.
— Es-tu vraiment débarrassé de la marque de Darken Rahl ? demanda Kahlan.
Richard ouvrit sa chemise pour qu’elle le constate de visu.
— C’est vrai, murmura la jeune femme en lui caressant la poitrine.
Elle le couvrit de petits baisers et lui mordilla même le bout d’un sein.
— Tu triches, dit Richard, le souffle court. Je veux embrasser sur toi tout ce que tu embrasses sur moi !
Les yeux dans ceux du jeune homme, Kahlan entreprit de déboutonner son chemisier.
— Marché conclu !
Elle continua de se déshabiller pendant qu’il la couvrait de baisers.
— Kahlan, et si les esprits du bien nous regardent ?
La jeune femme le fit basculer sur le dos.
— S’ils sont vraiment bienveillants, ils détourneront les yeux.
Autour d’eux, la douce lueur semblait puiser au rythme de leur respiration.
— Kahlan Amnell, dit Richard, je t’aime. Maintenant et pour toujours.
— Je t’aime aussi, Richard…
Dans un lieu entre les mondes où le temps n’existait plus, les deux jeunes gens s’unirent enfin pour ne plus faire qu’un.